.

PRESSE >>

SOMMAIRE

INTRODUCTION

L'essence

L'ORIGINE

PRINCIPES INTERNES

LES FORMES

L'ECOLE

COURS & STAGES

DOCUMENTS

I.T.C.C.A

LIENS

>>> autres articles

Cette rubrique présente un ensemble de documents et articles parus dans la presse

LES CINQ ÉLÉMENTS ET LE PROCESSUS INTERNE DE
 TRANSFORMATION DANS LA PRATIQUE DU TAI CHI CHUAN

La pratique du Tai Chi Chuan suit une progression basée sur le développement de principes internes (yin/yang, spirales et centre ...) organisés (parfois) en niveaux "techniques" d'étude. Ces étapes sont très utiles pour affiner mouvements et sensations, mais elles ne recoupent pas systématiquement les perceptions qui accompagnent la pratique. Ces perceptions sont un élément important du système de polarité : il y aune sorte de dialogue constant entre mouvement, sensation et - représentation.

Elles sont en relation directe avec notre système de représentation qui "in fine" est l'objet de la pratique ; "Le Moi est d'abord et avant tout un moi~ corps [...] la projection mentale de la surface du corps. Le sentiment d'avoir un "soi" semble reposer fondamentalement sur la continuité de l'image du corps […]"1

La pratique du TCC se fonde extérieurement sur l'exercice corporel - intérieurement cet exercice modifie la conscience de soi par des couches successives de révélation (au sens photographique). Cette modification touche finalement l'être essentiel masqué par des systèmes de représentations étroits. C'est l'aspect secret et profond de la pratique. On peut proposer diverses grilles pour apprécier cette transformation interne. Elles se heurtent aux limites de description de l'expérience intime, aux limites de description des qualités de conscience.

Les "cinq éléments" font généralement référence, dans l'énergétique chinoise à l'ensemble "bois - feu - terre - métal - eau" qui décrit les transformations de la nature.

L'ensemble "TERRE – EAU – AIR – FEU - ESPACE" est lié spécifiquement à la tradition bouddhiste. La transformation du mouvement (comme support de la conscience) présente des affinités avec la transformation du corps et de la conscience au moment de la mort suivant cette tradition. :

Notre corps est composé de différents éléments tels que vent, le feu et l'espace ; le corps physique contient donc l’essence de ces mêmes cinq éléments (à l'état brut à l'extérieur) sous forme de cinq énergies dont chacune est en correspondance avec l'un des éléments. Or, lorsque nous sommes sur le point de mourir, ces différents éléments, en particulier les différentes énergies, se dissolvent les unes dans les autres. "2

C'est la description d'une déstructuration, de la séparation du principe conscient et du corps. Les sensations accompagnant la pratique du Tai Chi Chuan (visant l'unité du corps et la conscience) peuvent être envisagés suivant un processus analogue et paradoxal d'intégration/libération.

L'idée que notre corps possède des affinités avec la TERRE est importante dans le sens où cela développe une certaine forme de tranquillité, de solidité : la terre est vraiment quelque chose sur quoi on peut compter, se tenir debout, construire ... Elle est aussi en relation avec l'origine.

Reconnaître cette qualité de solidité en nous-même permet d'envisager toutes les possibilités ouvertes en même temps qu'on se sent vraiment présent, avec densité. C'est le premier élément, celui sur le quel on va pouvoir développer le reste ; pour reconnaître cette qualité, il faut simplement prendre le temps de l'observer et lui donner l'occasion de s'exprimer. C'est la nature du travail des Chi Kong statiques, et du travail d'enracinement dans la forme. Quand on pratique en extérieur, cette sensation est plus apparente (on parle de lâcher le poids dans les pieds) et en même temps on peut sentir comment se renoue une sorte d'affinité avec la terre par le simple changement du contact des pieds au sol, cette sensation de s'enfoncer dans la terre. Cet élément est aussi lié à l'aspect structurant de la "forme" (c'est le nom de la première, partie de l'enchaînement en trois parties : Terre - Homme - Ciel) la forme est d'abord perçue comme un repère fiable et solide. Elle ne change pas (en apparence), on retrouve toujours les mêmes mouvements à la même place. La précision des gestes entre aussi dans cette qualité : ce n'est pas quelque chose de flou ou de vague ; pour chaque mouvement on peut se repérer très précisément et découvrir que cela renvoie à une organisation aussi précise de son propre organisme. La pesanteur devient quelque chose avec laquelle on peut travailler très utilement, ce n'est plus un ennemi, un boulet à traîner. C'est devenu un outil précis : en même temps que la sensation du poids et des appuis dans le corps deviennent plus précis, le reste du corps devient plus libre de ses mouvements.

Cette nouvelle solidité du corps est encore assez massive et pesante. Si on rentre profondément dans la sensation de son propre poids sur le sol, après une certaine sensation de solidité, on peut distinguer des possibilités de mouvement : en remplissant complètement une partie, un vide parait dans une autre pour permettre le mouvement avec une qualité fluide. On commence à découvrir un mouvement de ressac, quelque chose d'associé à une qualité LIQUIDE.

En dissociant le plein et le vide on fait de la place pour "laisser s'écouler" le mouvement et on exerce une sorte d'effet de pompage et d'essorage dans tous le corps. La respiration est déjà associée au mouvement, mais surtout comme un fil conducteur, un support pour unifier l'ensemble des parties du corps, intérieur et extérieur, dans une même qualité de mouvement fluide et pour marquer une polarité.

Le corps s'organise en plein et en vide de manière encore assez grossière, mais cela fait la place au mouvement de contraction et de dilatation : ce sont en fait des mouvements naturels, qui sont très liés aux rythmes organiques internes. Au début, la mémorisation exige une qualité de concentration assez tendue, proche de l'effort. Quand la forme est vraiment intégrée, comme un mouvement naturel, l'esprit trouve en écho une qualité plus tranquille et plus mobile, adaptable et souple.

La qualité "liquide" forme un modèle intuitif de mouvement pour cette étape de la pratique. "Partout où l'eau apparaît, elle tend à affecter une forme sphérique. [...] Dans les enveloppes du corps maternel, l'embryon humain flotte dans une eau et il y condense peu à peu ses organes à partir de l'état liquide. Le nouveau-né est presque entièrement composé d'eau et même chez le vieillard cet élément représente encore 60 % de la totalité du corps. [...] En outre tous les mouvements de l'eau sont rythmiques [...] Mais il faut toujours l'affrontement d'au-moins deux forces pour que naisse un rythme en lequel elles trouvent leur équilibre. Partout l'eau nous apparait comme un facteur d'équilibre. Le rythme est "élément vital" par excellence, et plus elle peut se mouvoir rythmiquement, plus elle reste intérieurement vivante."3.

Le passage - dans l'étude de la forme - d'une suite de positions à un mouvement réellement continu est souvent un obstacle : la conscience du mouvement pur (qui ne fait pas référence à des postures) est nécessairement beaucoup plus vaste et ouverte, plus directe et confiante. La fluidité du mouvement est inséparable de la notion de rythme : un mouvement souple et arythmique deviens une routine, un simulacre de détente ennuyeuse et sans vie. La balance Yin/Yang est l'expression de ce rythme fondamental associé au fluide. C'est le ressac, la pulsation tension/détente caractéristique du vivant. Ce rythme est relié directement à la respiration, à l'ensemble des mouvements externes du corps et dans une certaine mesure aux mouvements internes. Le mouvement fluide devient progressivement global, avec la sensation de circulation, de propagation très rapide, quelque chose de beaucoup plus vif, crépitant et joyeux. Le mouvement liquide se rattache à un état de bien-être.

Cette qualité nouvelle liée au FEU évoque la joie, le rire, une action vive et précise, globale et en même temps très "pointue". Ces sensations apparaissent avec le travail de centre et des spirales : on découvre une unité dynamique qui organise le corps de l'intérieur. C'est beaucoup plus doux et léger que précédemment ; on a enlevé ce qui limitait l'expression de la vitalité du mouvement : on a d'abord creusé dans la terre pour retrouver la source enfouie maintenant qu'elle est dégagée, elle peut jaillir avec beaucoup de puissance, d'une manière libre, imprévisible et généreuse. Les actions deviennent vraiment plus puissantes : c'est toujours un jeu des muscles et des tendons mais avec une conscience plus nette des "lignes de force", de tout ce qui bloque ou disperse l'énergie de l'action : c'est à la fois précis et naturel. Il y a un chemin direct, immédiat, dans le corps, pour chaque action particulière. C'est l'expérience du jaillissement spontané, comme si toutes les parties du corps devenaient très sensibles et mobiles, tout le temps en éveil.

La puissance dans les actions vient aussi de cette sensibilité, de cette écoute et de cette manière très précise d'accueillir l'action de l'autre ; il n'y a pas de séparation : l'attaque de "uké" fait immédiatement respirer et ouvrir le mouvement - c'est très direct et joyeux ; l'obstacle qu'il présente oblige à s'ouvrir, à voir plus large, plus loin, à entrer directement en communication. C'est la conscience du centre et des spirales dans les bras et les jambes qui permet cette qualité d'action directe ; le corps est maintenant perçu comme une globalité, une unité d'action ; il n'y a pas de temps de préparation; tout est toujours en place, ouvert, attentif, l'arc est bandé : il suffit de lâcher la corde.

On ne voit pas la flèche partir, on entend simplement le claquement sec et la vibration de L'AIR.

La respiration est présente presque dés les débuts, mais son rôle s'est transformé. Le corps a acquis progressivement un savoir faire précis et efficace l'outil est affûté, tranchant et vif. On commence vraiment à sentir les possibilités du corps, sa souplesse, sa vitalité, sa précision : on peut rentrer profondément dans l'action. Mais le claquement de la corde sonne comme un rappel, à l'ouverture et à la respiration. C'est l'air qui porte le mouvement, et à force d'affinités avec cet élément, il en a pris les qualités, l'essence.

Pendant des années de pratique, le mouvement a guidé la respiration, puis ils se sont unis et maintenant c'est la respiration qui porte le mouvement (on parle alors de souffle). Le mouvement (extérieur) est devenu l'expression visible du souffle (intérieur). Tout le corps respire réellement : chaque partie s'ouvre et se dilate avec l'inspir - comme le nourrisson tout habité de ses rythmes internes, c'est la manifestation d'une respiration globale, profonde, ample et lente.

Dans les instants essentiels de l'existence, c'est le souffle qui prend le relais : du premier cri au dernier soupir un grand vent nous emporte, nous meut et nous émeut. Le mouvement est devenu respiration : les cercles de bras et de jambes, l'ouverture du dos, des reins, de la nuque, les mouvements du diaphragme sont unis dans un même souffle. Depuis les prémices du Tai Chi Chuan, c'est l'action et la respiration qui servent de référence. Le réglage, la synchronisation de toutes les parties du corps est long ; quand il y a suffisamment de précision, d'unité et de tranquillité, le souffle s'installe et prend le relais, toute la mécanique devient évidente, naturelle le mouvement et l'action s'expriment à travers le corps et le traversent.

"Le souffle, c'est le ciel, ce qui met en communication, ce qui pénètre partout, c'est le vent, c'est le mouvement, les transformations, la respiration, ce qui est léger, ce qui s'élève, ce qui s'envole, se disperse, ce qui ouvre, ce qui brille, c'est la lumière. "4

Après l'intégration de tous ces aspects vient le niveau de pratique lié à L'ESPACE, à la conscience et à la nature "vide" de l'esprit : toute description du vide est par essence vouée à l'échec. On peut en prendre conscience en observant ou en pratiquant avec un Maître qui à pleinement réalisé ce niveau : dans la qualité de ses gestes (le déroulement de la forme, ...) le vide est visible directement. Le mouvement exprime une présence parfaite, complètement ouverte et vide d'intention. C'est une expérience étonnante et rare il ne se passe rien de vraiment spectaculaire, mais (presque) tout le monde peut sentir une densité de présence d'autant plus remarquable qu'elle touche directement le spectateur en dehors de toute volonté de "montrer" ou de dire quelque chose. On est ému par l'évidence et la clarté de ce que l'on voit. Lors d’applications martiales rapides on est frappé (...) par la maîtrise du temps et de l'espace. Le Maître n'est pas rapide ; on a plutôt l'impression que uké est lent et maladroit, gauche. Le Maître n'est pas rapide, il est simplement placé au bon endroit au bon moment, il est à sa place, tranquille... Il occupe un espace très vaste.

Cette maîtrise du temps et de l'espace échappe à toute tentative de rationalisation ; elle est de nature immédiate et transcendante. Cette conscience se rencontre (au plus haut niveau) dans d'autres d'arts martiaux.

Le Tai Chi Chuan offre une progression particulièrement habile pour l'expérimenter et la développer à travers l'expérience intime de l'unité, du lâcher prise, du vide, de l'ouverture.

La Terre est associée à l'enracinement

L'Eau à la fluidité

Le Feu à l'activité,

L'Air à la respiration,

L'Espace à la présence.

La terre, l'eau, le feu, le vent, l'espace tout ces éléments sont présents, ensemble, immédiatement, et pourtant ils offrent une grille de progression qui correspond réellement à la transformation du corps et des sensations dans la pratique. Tous ces mécanismes sont naturellement présents en nous-même. La pratique n'est qu'un patient travail de redécouverte de soi, du corps, du souffle et de leur unité, très simplement, très naturellement.

1 – S. Freud
2 – Enseignement sur " L’entraînement spirituel en relation avec le bardo "Péma Wangyal 11/84
3 – Théodore Schwenk " Le Chaos Sensible "
4 – Cité par Catherine Despeux dans " La moëlle du Phoenix Rouge "


Didier Le Boucher - article paru dans TAI CHI  MAGAZINE - été 1996