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Taïjiquan
: MAITRE
CHU KING HUNG
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L'enseignement
de Maître Chu
Traditionnellement,
le Taijiquan s'apprenait par imitation. Le respect envers
les maîtres était très grand et il n'était pas d'usage
de les questionner. En s'installant en Occident, le Taiji
commence à évoluer, non dans ces principes mais dans sa
transmission qui se fait plus claire, plus explicite.
Maître Chu est un parfait exemple de ces enseignements,
dépositaires de la tradition et ouvert à l'idée que des
Occidentaux peuvent aussi avoir accès au coeur de la
pratique. Mais pour les toucher, il faut une pédagogie
différente. Une transmission qui repose plus sur une
forme d'explication des mécanismes internes que sur la
seule "foi" du pratiquant.
L'enseignement du style Yang originel est dirigé vers le
développement du souffle interne et son utilisation dans
la pratique martiale. L'appellation "souffle
interne" recouvre un système de respiration globale
(souvent dite "inversée"). Cette respiration
spécifique est elle-même tributaire de la totale liberté
de mouvement de l'ensemble du corps. On étudie donc
chaque élément de chaque action séparément, en les
associant ou en les opposant suivant des principes
internes comme le principe bien connu de polarité
Yin/Yang.
La forme par elle-même est sobre et simple "au
dehors". Tous les mouvements sont retravaillés à la
lumière des six principes internes principaux et des
principes annexes. Ils gagnent ainsi lentement leur
réelle qualité interne. On associe souvent interne et
lenteur. Beaucoup pensent par exemple que la forme serait
interne alors que le combat serait externe. En suivant les
principes internes de Yang Sau Chung, on comprend bien que
la lenteur est nécessaire à l'étude et au
développement de ces principes. Par exemple, dans la
forme, chaque mouvement est associé à un inspire ou un
expire. |
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Par la pratique, le
rythme respiratoire tend à se ralentir et donc aussi le
mouvement. Dans la confrontation martiale, on conserve les mêmes
caractéristiques internes dans une action très rapide. La
précision du mouvement est aussi liée au développement des
qualités internes. Le "geste juste" fait prendre
conscience d'un ou plusieurs mécanismes. Il peut évoluer selon
le niveau de pratique. Ce n'est pas fixé de manière rigide ; par
exemple, avec de légères variations, chaque mouvement de la
forme recouvre 4, 5 (ou plus) applications martiales différentes.
Les exercices de contact suivent aussi une progression
régulière. Les différentes formes de poussée des mains
(exercices de base du Taijiquan pour comprendre les principes
d'action et développer l'écoute du partenaire) sont encore très
techniques. Le Da Lu (exercice un peu complexe) permet de
bien comprendre les mécanismes de clef, de dégagement et de
projection au sol. La "Fighting Form" (mouvement de la
forme mis en face à face et en contact) permet d'étudier
beaucoup d'actions spécifiques du Taijiquan, de frappes et de
blocages et de les faire évoluer vers le contact libre. Chaque
arme développe aussi des qualités particulières. Il y a une
progression très graduelle de la forme vers la confrontation
martiale, comme une échelle à monter. On ne peut pas sauter les
barreaux ; on garde toujours présent la même direction, la même
pratique : utiliser le souffle plutôt que la force musculaire
ordinaire. C'est d'ailleurs dans la confrontation martiale qu'on
peut se rendre compte du chemin parcouru.
Tous ces principes internes recouvrent des réalités anatomiques
et physiologiques des mécanismes naturels. Il y a de nombreux
exemples d'expression spontanée de cette énergie : une femme,
lors d'un incendie, défonce une prote pour sauver son enfant ;
elle aurait du normalement se briser les os! Le Taiji propose de
retrouver hors incendie le chemin de cette énergie vitale. C'est
un apprentissage qui demande une pratique très graduelle. C'est
une expérience profonde où le corps et la conscience se
transforment progressivement. Répéter des mouvements ne sert pas
à grand chose si on ne sait pas précisément ce que l'on est en
train de chercher, de travailler.
Beaucoup de maîtres d'arts martiaux ont fait ce chemin.
Mais faute d'avoir structuré ces connaissances, cela reste
souvent une expérience unique. Les élèves essayent de
reproduire, ne savent pas dans quelle direction aller, et l'enseignement devient
de plus en plus formel.
Me Yang Sau Chung nous a légué un ensemble de principes qui
permet un entraînement cohérent et progressif vers le souffle
interne. C'est une grille de lecture pour la compréhension du
sens du travail. Cela n'enlève rien aux "mystères de
l'énergie". Mais cela permet aux Occidentaux du XXe siècle
d'avoir accès à un enseignement un peu moins mystérieux.
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Didier Le Boucher - article paru dans ARTS & COMBATS - Octobre
1996
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